Ce deuxième long-métrage de Charles WINKLER (fils d'Irwin WINKLER, producteur d'On achève bien les chevaux et de la série des Rocky) est un peu le Vol au-dessus d'un nid du coucou du cinéma fantastique, avec une bonne dose d'humour en supplément et un sens très affûté du délire morbide.
Directeur d'une clinique psychiatrique réputée, le docteur Russell (Malcolm McDOWELL) a la fâcheuse manie de droguer ses jolies patientes afin de les violer en toute tranquillité. Le suicide de l'une d'elles ne le dissuade pas de poursuivre ses douteuses activités, mais éveille les soupçons de Michael Kahn (Geoffrey LEWIS), le pensionnaire le plus intelligent de la clinique, qui entretient avec le médecin une relation étrangement complice. Tout va donc pour le mieux jusqu'au jour où une nouvelle victime, allergique au sédatif administré, est prise de terrifiantes convulsions. Avec l'aide du dévoué Michael, Russell injecte une dose mortelle à la jeune femme, qu'il transporte ensuite dans sa chambre. Le lendemain, il constate que le cadavre a disparu...
Après une scène d'introduction (dans tous les sens du terme...) franchement malsaine et traumatisante (magnifiée par une poignante partition de Steven Scott SMALLEY), Delirium verse dans la comédie noire mâtinée de thriller surnaturel, et s'autorise de jolis délires, tant au niveau des dialogues, particulièrement savoureux, que de la mise en scène, où les plans joyeusement tarabiscotés se multiplient pour le plus grand plaisir du cinéphile cintré.
L'un des grands atouts du film est évidemment son casting, particulièrement inspiré et investi dans l'hystérie ambiante. Malcolm McDOWELL jubile du premier au dernier plan (et même au-delà ! allez jusqu'au bout du générique de fin !), et semble totalement régénéré par ce rôle qui correspond si bien à son talent particulier de cabotin conscient de ses excès. Le grand Geoffrey LEWIS trouve là son meilleur rôle et livre une performance impressionnante d'humour distancié et de maîtrise du moindre effet. La confrontation de ces deux comédiens d'exception, trop souvent sous-employés, est un bonheur de chaque instant. Ils nous offrent un duo mémorable et toujours surprenant, pétri de complicité, de finesse, et de respect mutuel : du très grand art...
Dans la passionnante interview croisée de McDOWELL et de WINKLER que "L'Ecran fantastique" publia lors de la sortie du film, WINKLER présentait Disturbed comme "un thriller psychologique débridé, dont l'intrigue permettait des changements de tons abrupts, des expériences bizarres et inédites en matière de mise en scène et d'interprétation." Le moins que l'on puisse dire est que le film tient les promesses de son auteur.
McDOWELL n'hésitait pas à déclarer que : "ce qui va se passer, c'est que [Disturbed] va être découvert lors de son passage sur le câble et que les gens l'apprécieront, qu'ils en parleront mais à un niveau très underground, un peu comme un film culte." Ce qui, 21 ans plus tard, ne s'est toujours pas vérifié -- cent fois hélas !...
Durant le tournage, une grande place fut accordée à l'improvisation. Avec des professionnels aussi doués que McDOWELL, LEWIS, et l'excellente Priscilla POINTER (remarquable en émule de Miss Ratched), on peut dire que WINKLER fut avisé de laisser la bride sur le cou de ses interprètes... Cette latitude créative donne lieu à des moments particulièrement jouissifs, comme dans l'extrait que vous trouverez ci-après en vidéo, et que McDOWELL commente ainsi : "Il y a une scène où j'anime une thérapie de groupe, et à un moment je fais un très vif mouvement pour croiser mes jambes. Ce seul mouvement dit tout dans la séquence. J'avais vu Laurence OLIVIER faire ça une fois, j'étais assis assez loin de la scène. Il était formidable, le rôle était très difficile, très pesant et d'un seul coup, au milieu d'une tirade dramatique, il a croisé les jambes d'une manière très nerveuse, et toute la salle a applaudi ! C'était très sournois de sa part, car ce n'était pas du tout dans le ton de la pièce mais c'était une manière de dire : 'Regardez comme j'ai de bonnes idées pour interpréter mes personnages'. J'étais très jeune et cela m'a beaucoup marqué, je m'en suis toujours souvenu en me faisant la promesse d'utiliser un jour cet artifice pour l'un de mes rôles. Cela m'est revenu pour cette scène particulière de Disturbed, et cela colle très bien à l'atmosphère."
Un moment d'inspiration, qui, en effet, donne idéalement le ton à la fois décontracté et stressant de ce film exemplaire...
Extrait n°1 : Le coup des jambes croisées...
Extrait n°2 : Confrontation de deux comédiens d'exception :