jeudi 30 juin 2011

DELIRIUM (Disturbed, Charles WINKLER, 1990)






Delirium est l'un de ces petits joyaux de la série B du début des nineties, qui avait tout pour faire un carton, ou, à tout le moins, se tailler un statut "culte", n'eussent été une exploitation déplorable (deux salles à Paris durant quinze jours, et pratiquement pas de diffusion en province) et une couverture médiatique inexistante (seul "L'Ecran Fantastique" défendit vigoureusement le film, allant jusqu'à lui consacrer la couvrante de son n°122).
Ce deuxième long-métrage de Charles WINKLER (fils d'Irwin WINKLER, producteur d'On achève bien les chevaux et de la série des Rocky) est un peu le Vol au-dessus d'un nid du coucou du cinéma fantastique, avec une bonne dose d'humour en supplément et un sens très affûté du délire morbide.





Directeur d'une clinique psychiatrique réputée, le docteur Russell (Malcolm McDOWELL) a la fâcheuse manie de droguer ses jolies patientes afin de les violer en toute tranquillité. Le suicide de l'une d'elles ne le dissuade pas de poursuivre ses douteuses activités, mais éveille les soupçons de Michael Kahn (Geoffrey LEWIS), le pensionnaire le plus intelligent de la clinique, qui entretient avec le médecin une relation étrangement complice. Tout va donc pour le mieux jusqu'au jour où une nouvelle victime, allergique au sédatif administré, est prise de terrifiantes convulsions. Avec l'aide du dévoué Michael, Russell injecte une dose mortelle à la jeune femme, qu'il transporte ensuite dans sa chambre. Le lendemain, il constate que le cadavre a disparu...




Après une scène d'introduction (dans tous les sens du terme...) franchement malsaine et traumatisante (magnifiée par une poignante partition de Steven Scott SMALLEY), Delirium verse dans la comédie noire mâtinée de thriller surnaturel, et s'autorise de jolis délires, tant au niveau des dialogues, particulièrement savoureux, que de la mise en scène, où les plans joyeusement tarabiscotés se multiplient pour le plus grand plaisir du cinéphile cintré.
L'un des grands atouts du film est évidemment son casting, particulièrement inspiré et investi dans l'hystérie ambiante. Malcolm McDOWELL jubile du premier au dernier plan (et même au-delà ! allez jusqu'au bout du générique de fin !), et semble totalement régénéré par ce rôle qui correspond si bien à son talent particulier de cabotin conscient de ses excès. Le grand Geoffrey LEWIS trouve là son meilleur rôle et livre une performance impressionnante d'humour distancié et de maîtrise du moindre effet. La confrontation de ces deux comédiens d'exception, trop souvent sous-employés, est un bonheur de chaque instant. Ils nous offrent un duo mémorable et toujours surprenant, pétri de complicité, de finesse, et de respect mutuel : du très grand art...




Dans la passionnante interview croisée de McDOWELL et de WINKLER que "L'Ecran fantastique" publia lors de la sortie du film, WINKLER présentait Disturbed comme "un thriller psychologique débridé, dont l'intrigue permettait des changements de tons abrupts, des expériences bizarres et inédites en matière de mise en scène et d'interprétation." Le moins que l'on puisse dire est que le film tient les promesses de son auteur.
McDOWELL n'hésitait pas à déclarer que : "ce qui va se passer, c'est que [Disturbed] va être découvert lors de son passage sur le câble et que les gens l'apprécieront, qu'ils en parleront mais à un niveau très underground, un peu comme un film culte." Ce qui, 21 ans plus tard, ne s'est toujours pas vérifié -- cent fois hélas !...





Durant le tournage, une grande place fut accordée à l'improvisation. Avec des professionnels aussi doués que McDOWELL, LEWIS, et l'excellente Priscilla POINTER (remarquable en émule de Miss Ratched), on peut dire que WINKLER fut avisé de laisser la bride sur le cou de ses interprètes... Cette latitude créative donne lieu à des moments particulièrement jouissifs, comme dans l'extrait que vous trouverez ci-après en vidéo, et que McDOWELL commente ainsi : "Il y a une scène où j'anime une thérapie de groupe, et à un moment je fais un très vif mouvement pour croiser mes jambes. Ce seul mouvement dit tout dans la séquence. J'avais vu Laurence OLIVIER faire ça une fois, j'étais assis assez loin de la scène. Il était formidable, le rôle était très difficile, très pesant et d'un seul coup, au milieu d'une tirade dramatique, il a croisé les jambes d'une manière très nerveuse, et toute la salle a applaudi ! C'était très sournois de sa part, car ce n'était pas du tout dans le ton de la pièce mais c'était une manière de dire : 'Regardez comme j'ai de bonnes idées pour interpréter mes personnages'. J'étais très jeune et cela m'a beaucoup marqué, je m'en suis toujours souvenu en me faisant la promesse d'utiliser un jour cet artifice pour l'un de mes rôles. Cela m'est revenu pour cette scène particulière de Disturbed, et cela colle très bien à l'atmosphère."
Un moment d'inspiration, qui, en effet, donne idéalement le ton à la fois décontracté et stressant de ce film exemplaire...

Extrait n°1 : Le coup des jambes croisées...


Extrait n°2 : Confrontation de deux comédiens d'exception :



Hadopiser en VHSRip (qualité moyenne), et V.F. : ICI.

mercredi 22 juin 2011

CES FOLLES FILLES D'EVE (Where the Boys Are, Henry LEVIN, 1960)






A force de me taper une tripotée de beach movies pour les besoins de mes écrits, une furieuse envie m'est venue d'aller traîner mes gougounes du côté de Malibu, dans le fol espoir d'y rencontrer Frankie et Dee Dee ou, mieux encore, leur pote Michael. Je prends l'avion dans quelques heures et vous quitte donc pour une petite semaine, non sans vous proposer une hadopisation en accord avec le changement de saison et ma villégiature prochaine.
Ces Folles filles d'Eve fut, avec la trilogie des Gidget, l'un des précurseurs de la vague de "films de plage" qui déferla sur les drive-in de 1960 à 1966. Quatre étudiantes quittent les frimas de leur Middle West natal pour se dorer le navel sur les sables floridiens. Destination : Fort Lauderdale, "là où sont les garçons" (d'où le titre original). Dolores HART s'éprend d'un riche millionnaire (qui a dit pléonasme ?) ayant la belle gueule de George HAMILTON ; Paula PRENTISS cède aux avances de l'hurluberlu Jim HUTTON ; la mimi MIMIEUX se tape carrément deux mecs, attitude un tantinet olé olé dans l'Amérique de ce début des années 60, et qui lui vaudra un châtiment rudement bien mérité ; Connie FRANCIS, désavantagée par un statut de joueuse de hockey contraire aux assignations de son sexe, se rabat sur le Riddler de Batman, Frank GORSHIN, absolument délirant en contrebassiste de "jazz dialectique" affligé d'une myopie confinant à la cécité.



Ben tiens !...

Ces Folles filles d'Eve est très probablement l'un des beach movies les plus frileusement conservateurs de ce sous-genre hyper-populaire dans l'Amérique des sixties ; nous sommes loin des délires du cycle produit par l'A.I.P. Ici, pas de décrochages surréalistes, d'érotisme kitschounet, et encore moins d'imagerie homophile et de sous-texte gay. Anecdote révélatrice : l'actrice principale, Dolores HART, entra au couvent quelques années plus tard, suite à une rencontre illuminante avec Jean XXIII !






Pas non plus de guest-star ébouriffante, comme on en rencontrait chez A.I.P. (Vincent PRICE, Peter LORRE, Boris KARLOFF, Mickey ROONEY ou Buster KEATON) ; il faut se contenter de Chill WILLS, vieux routier du western, dans un rôle de shérif dépassé par le "péril jeune" qui menace sa ville.
Pour autant, la valeur historique du film est incontestable dès lors que l'on considère l'impact des beach movies sur la jeunesse américaine de l'époque, qui en fit un véritable phénomène culturel.
Et puis, Connie FRANCIS s'adonne à ce qu'elle fait le mieux : chanter (la chanson du générique et une autre -- voir vidéo ci-dessous) ! Notons que l'absence de séduction que lui prête le scénario ne l'empêcha pas de se faire violer quelques années plus tard au sortir d'un concert, ce qui n'est pas donné à tout le monde...
Et puis, George HAMILTON avait une belle gueule...
Et puis, c'est produit par Joe PASTERNAK, l'un des maîtres confiseurs du Hollywood des fifties...
Et puis, Dolores HART a quand même un Q.I. de 138 !... (ce qui n'est pas d'une furieuse utilité quand on veut se faire nonne, mais bon...)




Aussi, faites-vous plaisir, et n'hésitez pas à hadopiser cette gourmandise (au goût un peu saumâtre vers la fin, où l'on flirte avec le mélodrame) ; c'est ici, en DVDRip avec sous-titres incrustés.
En 1984, le film fit l'objet d'un remake dont on dit tellement de mal qu'il me faudra bien le visionner un jour...





Ces salopards de VouZenTube m'interdisant d'intégrer les vidéos concoctées à votre attention, je vous renvoie au site de ces connards :
1 : Un savoureux (et trompeur) moment d'anticonformisme offert par Dolores avant sa prise de voile...
2 :
Connie sings...

mardi 21 juin 2011

WILD IN THE STREETS (Barry SHEAR, 1968)




Attention : chef-d'œuvre !
Le film que je vous propose aujourd'hui en hadopisation est très probablement l'une des bandes les plus barges et les plus stimulantes produites par l'A.I.P., ainsi que l'un des plus percutants pamphlets politiques de la fin des sixties... A (re)redécouvrir d'urgence !...

(N.B. : L'article qui suit est issu d'une étude sur le cinéma camp anglo-saxon, actuellement en cours de rédaction, et dont la parution est prévue pour fin 2012/début 2013. Ceux d'entre vous qui, s'intéressant au sujet, souhaiteraient lire d'autres passages de cet ouvrage, trouveront en fin de post les liens vers des extraits parus sur mes autres blogs...)


Dans cette œuvre violemment satirique, un jeune chanteur de pop multimillionnaire, Max Frost (Christopher JONES), offre son soutien électoral à un sénateur (Hal HOLBROOK) contre la promesse d'un abaissement de l'âge légal de vote à 15 ans. Dans la foulée de cette victoire, il encourage des émeutes de jeunes à travers le pays, impose son amie junkie comme représentante de la Californie au Congrès, et parvient à se faire élire président sur un programme déniant tout droit aux adultes. Les personnes de plus de 35 ans sont déportées dans des camps de concentration où on les abrutit de L.S.D. ; le F.B.I. et la C.I.A. sont dissouts, et l'hédonisme est érigé en loi par les jeunes générations triomphantes.


L'invraisemblance du scénario, basé sur une nouvelle de Robert THOM, fut décriée par une bonne partie de la critique, ce qui n'empêcha pas le film d'être considéré comme représentatif de l'air du temps, voire prophétique pour les plus alarmistes (la question de l'âge de vote était vivement débattue en 1968, année électorale troublée par la guerre du Vietnam, les contestations étudiantes et l'ampleur du mouvement hippie). L'accession au pouvoir d'un chanteur démagogue, déjà au centre d'Un Homme dans la foule d'Elia KAZAN (1957), et qui fournit à Tim ROBBINS l'argument de son Bob Roberts (1992), se double ici d'une réflexion percutante sur l'avènement du « jeunisme », aboutissant à une dérive fasciste. Max Frost commence par étayer son discours sur le poids démographique des jeunes aux Etats-Unis (52 % de la population américaine avait alors moins de 25 ans, conséquence du baby boom) ; l'extravagance de ses prétentions ne connaît pas de limites, tout comme celle des moyens employés pour parvenir à ses fins : ainsi, c'est en saturant de LSD les réserves d'eau de Washington qu'il parvient à faire voter par des sénateurs shootés une réforme visant à faire accéder toute personne de plus de 14 ans aux plus hautes fonctions politiques.


La démesure bat son plein dans les multiples séances du Congrès, où la jeune Sally LeRoy (Diane VARSI), totalement défoncée, annone des revendications ahurissantes, coiffée d'un tricorne et munie d'un tambourin. Les réactions des « vieux tigres » (comme les surnomme Frost) déchus de leur pouvoir, sont aussi pathétiques qu'excessives : « La jeunesse n'est pas une transition, c'est un fléau ! », s'insurge vainement le sénateur Allbright, tandis que Fergus, telle une drama queen déchaînée, arrache rageusement les affiches de Frost décorant les chambres de ses fils en hurlant : « Dorénavant, ce sera Winnie l'Ourson et Little Women, et rien d'autre ! »


Par son outrance pince-sans-rire, l'humour pratiqué par Barry SHEAR et Robert THOM n'est pas très éloigné du camp pour ce qui touche à la satire politique et sociale. Il en relève totalement dans son approche d'un thème essentiel au concept : le matrophobie, focalisée sur le personnage de la mère de Frost, qu'incarne Shelley WINTERS (qui d'autre ?). L'actrice se déchaîne dans le rôle de Daphne Flatow, envahissante matrone dont les vitupérations ne sont pas étrangères à la haine que son fils a conçue pour le monde des adultes. Archétype de la mère ogressale et incestueuse, Daphne, privée de l'affection de son garçon, compense cette perte par des simulacres dans lesquels elle adopte, jusqu'à la caricature, les traits de l'amante de Max (« Je m'identifie à Sally LeRoy », déclare-t-elle ingénument au sénateur Fergus), ou d'une autre mère (La reine d'Angleterre), substitut de l'épouse pour un fils toujours célibataire. Sur un plan plus immédiat et illustratif, le sommet de la cruauté camp est sans doute atteint dans la scène où, traînée vers le camp de concentration pour « plus de 35 ans », elle hurle aux policiers « C'est une erreur ! Je suis jeune ! Je suis jeune ! »


Affligé d'une telle génitrice, Max Frost nous est présenté, en accord avec les théories freudiennes, comme un homme à l'orientation sexuelle mal définie. Certes, il a quatre enfants et n'affiche d'intérêt que pour les femmes ; lorsque son ami Billy Cage (Kevin COUGHLIN), homosexuel affirmé, lui reproche son choix « démodé » de ne coucher qu'avec des personnes du sexe opposé, il lui répond par un sourire amusé. Mais son comportement envers ses amis/associés ne laisse pas d'être trouble : il joue sur eux de son pouvoir de séduction, manifeste au jeune Billy un attachement moins viril que maternel et qui tient de la couvaison, a des gestes ambigus envers le très efféminé Abraham (Larry BISHOP), son trompettiste amputé d'une main, dont il porte pensivement à ses lèvres le crochet qui lui sert de prothèse.


A 43 ans de distance, non seulement Wild in the Streets n'a pas pris une ride, mais il s'avère d'une actualité brûlante, et aurait aussi bien pu être mis en boîte par l'un de nos cinéastes actuels (s'il s'en trouvait de suffisamment inspiré...) Gageons qu'en ces temps de remakes à tout va, une nouvelle version ne saurait tarder...

Hadopiser ICI (nouveau lien), en DVDRip et V.O.S.T.


Bande-annonce (V.O.) :