Les
vanity projects de série Z, ça existe. Pour preuve, cet
Appel réalisé par
Tilda THAMAR en 1974, en un temps où la "
Lana TURNER argentine", âgée d'une cinquantaine d'années, était déjà bien oubliée dans notre beau pays, où elle avait tenté une petite carrière dans la comédie musicale et le polar bas de gamme.
Qui est Tilda THAMAR ? Pour répondre à cette question, je ne saurais trop vous conseiller de lire l'
excellent article que lui a consacré Music Man sur son blog "Movie Musical World". Toutes proportions gardées, sa gloire fugitive (autant que relative) et son prévisible déclin vous ont un petit côté
Boulevard du crépuscule à l'européenne, qui rend particulièrement attachants sa personnalité et son parcours.
Après avoir connu les fastes de la
jet set, côtoyé les grands noms du cinéma mondial (dans les cocktails et les soirées plutôt que sur les plateaux de tournage), squatté les couvertures de "Ciné Monde" et s'être illustrée dans le "cinéma de genre" hexagonal, Tilda sombra dans un oubli doré, ayant largement assuré sa subsistance par voie conjugale et divorce subséquent (elle fut l'épouse du comte Ali TOPTANI, cousin du roi d'Albanie.)
En 1974, donc, celle que des journalistes en veine d'originalité avaient jadis surnommée "la bombe atomique", mais dont la carrière tenait plutôt du pétard mouillé, décida de puiser dans son confortable bas de laine pour donner à ses charmes quelque peu éventés un écrin que les producteurs se souciaient peu de lui offrir. Reprenant un script qu'elle avait commis quelques années plus tôt, elle se lança dans la réalisation avec ce curieux film à sketches, légèrement pimenté d'érotisme et hésitant entre le cinéma d'auteur, le fantastique psychédélique et le "bis" pur jus.
Pour vedette masculine, elle choisit le comédien et cinéaste
Michel LEMOINE, figure légendaire du cinéma populaire européen, acteur fétiche de
Jesus FRANCO, réalisateur de petits bijoux comme
Le Manoir aux louves,
Les Désaxées ou
Les Week-ends maléfiques du comte Zaroff, et signataire d'un bon paquet de pornos classieux pour le compte d'Alpha Vidéo sous divers pseudonymes -- dont le plus cocasse est sans conteste Michel BLANC. Nul doute qu'ils se rencontrèrent à l'occasion de l'une ou l'autre
party auxquelles Michel LEMOINE, fêtard impénitent, ne manquait pas de participer à l'époque...
Ayant eu la chance de rencontrer Michel assez régulièrement dans les années 2000, je n'ai pas manqué de l'interroger au sujet de Tilda et de son unique réalisation. Il n'avait, à vrai dire, pas grand-chose à en raconter, sinon que la dame (qu'il qualifia de charmante, tant à la ville qu'au travail) était très investie dans la confection de son film, et semblait sincèrement convaincue qu'il pourrait lui ouvrir les portes d'une seconde carrière, plus personnelle et valorisante que la précédente.
Il n'en fut rien. Pratiquement pas distribué,
L'Appel sortit tout aussi confidentiellement en vidéo, et c'est de cette cassette depuis longtemps introuvable qu'est extrait le Rip que je vous propose.
Michel LEMOINE, dans les années 2000
Que dire de cet
Appel ?...
Qu'il est pour le moins déconcertant, par le mélange signalé plus haut d'ambition et de naïveté, de grandiloquence et d'intimisme, d'anticonformisme post-soixante-huitard et de sentimentalisme fleur bleue.
Dans le premier sketch, empreint d'un nihilisme existentialiste qui fait presque songer à une parodie involontaire du cinéma d'
ANTONIONI, Michel LEMOINE est un artiste peintre plus ou moins
beatnick vivant dans un immeuble en construction. Chaque soir, une lumière clignotante provenant de l'immeuble d'en face semble lui lancer un appel (d'où le titre du film) auquel il s'efforce de résister ; jusqu'au jour où, n'y tenant plus, il décide d'en découvrir l'origine. Une "terrible révélation" l'attend, aussi confuse qu’ambiguë, même si l'on se doute depuis longtemps qu'il ne va pas au-devant d'une soirée d'anniversaire organisée à son insu par une poignée d'amis bienveillants...
Une belle peinture de Michel LEMOINE
Dans le deuxième segment, le fils d'un grand industriel hérite de l'usine de son père et renonce à son rêve de devenir musicien. La rencontre de l'âme sœur dans un aéroport l'encourage à rompre avec une existence qu'il abhorre, et nous vaut quelques scènes de batifolages exotiques d'une exemplaire nunucherie. Mais cet intermède idyllique fera long feu et se résoudra dans le chagrin et la mort... Quelques scènes relativement inspirées (la visite de l'usine -- voir extrait ci-dessous) côtoient un romantisme de pacotille, un érotisme peu affriolant (ah ! le strip-tease de l'effeuilleuse quinquagénaire dans une boîte de nuit !) et, une fois de plus, une désespérance d'une parfaite gratuité.
Tilda se met en scène dans le dernier sketch, véritable morceau de bravoure Camp où l'ancienne starlette célèbre les beautés (et surtout les douleurs) de l'amour intergénérationnel, dans une relecture œdipienne toute personnelle du
Visage du plaisir et autres œuvres exposant les périls des embrasements tardifs. Plaisancière richissime en vacances sur son yacht, elle s'éprend d'un jeune homme ressemblant comme deux gouttes d'eau à son défunt fils. Cette liaison impossible nous vaut des moments hallucinants de "campitude" et de freudisme brindezingue, comme la scène où Tilda, offrant ses seins aux lèvres du jeune homme, le confond avec son fils à qui elle donnerait la tétée ! (voir extrait...) Le finale, aussi grandiloquent que les pitreries de
DiCAPRIO et
WINSLET sur la proue du
Titanic, est d'un grotesque à toute épreuve...
Le spectre de la mort plane sur l'ensemble du film, lui conférant un caractère étonnamment déprimant entre deux accès de rigolade ; l'on notera également l'obsession de Tilda pour les arts plastiques (le héros du premier sketch est peintre, et l'on rencontre un sculpteur dans le deuxième), qui s'explique par le fait qu'elle-même se consacra à la peinture après sa retraite du cinéma (elle fit sa dernière apparition au grand écran dans
Les Prédateurs de la nuit de
Jesus FRANCO).
Au générique de fin, un carton remerciant "les pâtes Agnesi-Imperia", "Ricard " et "Martini" pour leur soutien lors du tournage, nous conforte dans l'idée qu'un film comme
L'Appel ne se rencontre pas à tous les coins de cinémathèques...
Hadopiser
ICI, en VHSRip et V.F.