mercredi 24 août 2011

LA FORCE DES TENEBRES (Night Must Fall, Richard THORPE, 1937 / Karel REISZ, 1964)






Adaptation d'une pièce à succès du comédien-dramaturge Emlyn WILLIAMS (le Caligula toute folle du I, Claudius inachevé de Josef Von STERNBERG), La Force des ténèbres peut être considéré comme l'un des ancêtres du film de psycho-killer, avec son tueur en série aux abords sympathiques trimballant la tête de sa dernière victime dans un carton à chapeau, et jouant de sa séduction pour s'attirer les grâces d'une vieille dame grincheuse et de sa nièce.
Il s'agit sans contredit de l'un des joyaux de la filmographie de Richard THORPE, prolifique "homme à tout filmer" de la M.G.M. (engagé par la firme au milieu des années 1930, il ne la quitta plus jusqu'à sa retraite en 1967), où Robert MONTGOMERY, alors estampillé "acteur de comédies", trouve son rôle le plus atypique. Tout à la joie de rompre avec son image de marque, il s'investit énormément dans l'élaboration de son personnage, allant jusqu'à intervenir dans la mise en scène. Passant de la jovialité exubérante à l'amertume sardonique puis à l'hystérie meurtrière, il impose un jeu totalement imprévisible et d'une stupéfiante modernité.



Rosalind RUSSELL, elle aussi spécialiste des comédies sophistiquées, adopte un registre subtil et mesuré à mille lieues des débordements camp de ses prestations emblématiques (la Sylvia de Femmes et l'excentrique tante Mame de Ma Tante), tandis que Dame May WHITTY est tout bonnement inoubliable en vieux tyran hypocondriaque et faussement paralytique, manipulée avec adresse par le tueur.
Mais La Force des ténèbres n'est pas qu'un film d'acteurs, et mérite d'être salué pour sa mise en scène ingénieuse, qui préserve à juste titre l'artifice et les conventions théâtrales (les protagonistes jouent, chacun à leur manière, un rôle qui les protège et les dissimule), tout en évitant le piège de la "pièce filmée", grâce à un sens aigu de l'atmosphère. L'adaptation respecte le contenu très queer de l'œuvre originale, et suggère avec finesse toutes les ambiguïtés de son "héros" au complexe d'œdipe aussi écrasant que celui de Norman Bates, et pour qui le désir des femmes se convertit instantanément en pulsions homicides.




Beaucoup moins maîtrisé, le remake de Karel REISZ, réalisé en 1964, souffre d'une certaine disparité de ton. Psychose est passé par là, et l'on sent chez les auteurs une volonté de marcher sur les foulées d'HITCHCOCK, tout en conservant les préoccupations sociales et un goût du naturalisme caractéristiques du "Free Cinema", dont REISZ fut l'un des plus célèbres représentants. Ces options contradictoires finissent par saper l'unité du film, la libération des mœurs propre aux sixties s'harmonisant mal au climat de conservatisme et de répression décrit par la pièce.



Le traitement du scénario, lâche et souvent maladroit, fait perdre son ossature à l'intrigue (la liaison amoureuse immédiatement concrétisée de Danny et d'Olivia atténue l'ambiguïté à leurs rapports ; le personnage de la vieille dame est relégué au second plan ; la scène fameuse, dans le film de THORPE, de la fouille de la chambre de Danny par l'inspecteur, est ici dénuée de tout suspense), et le numéro d'Albert FINNEY, certes amusant pour les amateurs de cabotinage éhonté, finit néanmoins par lasser, tout en privant le personnage de Danny du charme qu'il est censé dispenser et qui lui permet d'embobiner son entourage. A ce film brouillon et complaisant (dont on saluera néanmoins l'excellente photographie signée Freddie FRANCIS), il est permis de préférer le méconnu The Night Digger, variation beaucoup plus subtile sur les thèmes de La Force des ténèbres, dont il est un quasi-remake.





Extraits : deux versions d'une même scène, qui font honneur au film de THORPE...





VHS Rips d'enregistrements télévisés.
Hadopiser la version de 1937 ici (nouveau lien)
Hadopiser la version de 1964 ici (nouveau lien).

11 commentaires:

  1. un grand merci pour ce(s) film(s), surtout pour la version de 1964

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  2. Big merci, bbjane. Je connais le film de 37 mais pas celui de 64. Je vais combler cette lacune.

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  3. Bonjour BBJane,
    Le lien pour la version avec Albert Finney (1964) semble constamment être 'off line'. Y aurait-il s'il-vous-plaît possibilité de le réactualiser ? Merci à l'avance de considérer ma requête.

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  4. @ RLRobertPhD : Je m'en occupe dès que je rentre chez moi... Ce qui signifie que lien sera réactualisé en fin de semaine prochaine... ;-)

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  5. Un merci très appréciatif pour la revitalisation du lien, bbjane :-) Je laisserai un nouveau commentaire après visionnement..

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  6. Très bon et très sobre, dans la mise en scène autant que dans l'interprétation d'Albert Finney. La cinématographie toujours aussi soignée de Freddie Franois contribue aussi énormément à entretenir une atmosphère de réalisme inquiétant. Beaucoup apprécié. Merci encore pour cette pépite d'or :-)

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  7. @ RLRobertPhD : Merci de ton commentaire. Comme je l'écrivais dans le post, je préfère personnellement la version de Thorpe, mais je suis heureuse que tu aies apprécié le remake, qui a quand même quelques atouts -- dont, en effet, la photo de Francis, et le numéro de Finney (que je ne qualifierais pas de "sobre", mais qui vaut le détour...)

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  8. Bonjour BBJane,
    pourrai tu réactualiser la version de 1964 ?
    Ce serai gentil, merci d'avance.

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    1. Je m'en occupe dans la journée ! Repasse ce soir, Dédé...

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  9. Merci pour ce partage.
    La version 1964 est OK mais celle de 1937 HS.

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