mercredi 23 novembre 2011

JEAN ANOUILH (Claude SANTELLI, 1998)






On ne joue plus ANOUILH. Excepté, de temps à autre, Antigone ou L'Alouette. Et encore, faut le dire vite... C'est populeux, comme pièces. Ça coûte cher à monter, pour peu qu'on se soucie de payer les acteurs. SHAKESPEARE et BRECHT aussi, c'est populeux et ça coûte cher. On les monte quand même. Il y a eu ce miracle, la saison dernière : une reprise du Nombril, avec Francis PERRIN, à la Comédie des Champs-Elysées. C'était une bonne idée, reprendre Le Nombril... autrement plus risquée que de remonter Antigone ou L'Alouette, qui sont bien honorables, comptent parmi les "classiques" du théâtre français et n'ont plus grand-chose à prouver. Des œuvres tout à fait sérieuses et point trop dérangeantes.





Parce qu'ANOUILH, ne nous leurrons pas, si on ne le joue plus, c'est bien un peu parce qu'il dérange. Toutes ses pièces des années 60 aux années 80, ses "Nouvelles pièces grinçantes", ses "Pièces baroques", ses "Pièces secrètes" et "farceuses", sont sans doute un peu trop corsées. L'encre d'ANOUILH n'y est pas sympathique à l'humanité "souffretante". C'est un festival de veuleries, de ridicules et de bassesses, où chacun en prend pour son grade. Le ton est vachard et cocasse -- trop, aux yeux de certains, qui décrétèrent qu'ANOUILH n'était qu'un vieux réac absolument plus fréquentable.
"Il a perdu tout son talent !... Il ne fait plus que du boulevard !..."
La flétrissure suprême ! Il ne valait pas mieux qu'un ROUSSIN, qu'un ACHARD !... La critique décida de lui épargner ses louanges, et la postérité lui emboîta le pas... On ne joue plus cet ANOUILH-là, et il est fort probable qu'on ne le lit pas davantage. On le laisse à son purgatoire... Dommage, car on se prive de joies considérables... une férocité salutaire, une drôlerie de tous les instants, une lucidité décapante, une profondeur espiègle, jamais pesante, une prodigieuse vivacité verbale... Et une modernité sans faille, de celle qu'on cherche en vain chez ses contemporains, dont les œuvres pourtant continuent de patiner les planches ; une modernité que nos dramaturges actuels, englués dans la bien-pensance, l'obsession sociétale ou le freudisme de comptoir, ignorent avec une parfaite suffisance...
Au fond, ANOUILH, on ne le mérite pas...








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samedi 19 novembre 2011

ISAAC EN AMERIQUE : UN VOYAGE AVEC ISAAC BASHEVIS SINGER (Amram NOVAK, 1986) Documentaire






Diffusé sur France 3 dans le cadre de l'émission Océaniques le 20 novembre 1989, cet épatant documentaire me fit découvrir Isaac Bashevis Singer, le plus célèbre écrivain yiddish du XXème siècle, prix Nobel de littérature en 1978, auteur d'innombrables nouvelles et de plusieurs romans -- parfois adaptés à l'écran, comme Yentl ou Ennemies. Ce ne fut pas une découverte bénigne, mais un coup de cœur immédiat et durable pour un homme dont l'humour à la fois caustique et profondément humaniste me laissa pantoise, et dont l'univers, peuplé de démons et lutins issus du folklore juif, de vieillards amoureux, de jeunes filles hantées, d'adolescents inquiets, d'enfants espiègles et d'adultes nostalgiques, avait tout (et à foison) pour me séduire.





Le film d'Amram NOVAK suit l'auteur dans un pèlerinage sur les lieux de ses premières années en Amérique, où il débarqua depuis sa Pologne natale pour échapper aux nazis. Au fil de ses déambulations, SINGER évoque quelques souvenirs, retrouve des amis qu'il croyait disparus, parle de son rapport à l'écriture, au passé, à la vie.
Si vous ne connaissez pas SINGER, ce documentaire constitue, à coup sûr, la meilleure introduction possible à l'homme et à son œuvre...










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J'ai profité de l'occasion pour réactualiser le lien du documentaire consacré à André DHÔTEL ; c'est ici.






vendredi 11 novembre 2011

QU'EST-IL ARRIVE AUX SOEURS HUDSON ? (What Ever Happened to Baby Jane ?, David GREENE, 1991) Téléfilm






De manière générale, les remakes de grands classiques du cinéma ne sont pas mon verre de Glenfiddich (je ne bois pas de thé...) ; et lorsque ces remakes sont télévisuels, ma méfiance a tendance à s'accentuer. Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, le film de Robert ALDRICH, n'a pas toujours été considéré comme un "classique", loin s'en faut. Une bonne partie de la critique le démolit à sa sortie, n'y voyant qu'un mélodrame grand-guignolesque et racoleur, dont le mauvais goût frôlait l'indécence. Aujourd'hui encore, nombre de commentateurs ne sont pas tendres envers ce "film-monstre", qui fit un tabac au box office et engendra un sous-genre assez florissant dans les années 60 et 70 : la hagsploitation -- cycle de films mettant en vedette de vieilles mégères psychotiques, tantôt meurtrières, tantôt victimes des manœuvres de leur entourage. Les carrières déclinantes de ses deux interprètes, Bette DAVIS et Joan CRAWFORD, se trouvèrent relancées par ce succès, et le film s'assura une place de choix dans le cœur des cinéphiles, qui en firent, contre l'avis des historiens, une œuvre emblématique du cinéma hollywoodien des sixties. La communauté gay en particulier lui assura une enviable postérité, révérant ses qualités camp et faisant du personnage de Baby Jane l'une de ses icônes, et une figure incontournable des spectacles de travestis.



Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? se place indubitablement en tête de ma liste des films a emporter sur la fameuse île déserte, en compagnie de La Nuit du chasseur, autre monument du 7ème Art qui eut la malveine d'être "remaké" pour la télévision, par le même réalisateur que celui de ces Sœurs de la Haine (titre alternatif mentionné sur les programmes télé, mais non au générique du film), le prolifique David GREENE (décidément très porté sur les icônes gays et camp, puisqu'il signa en 1988 un biopic du pianiste LIBERACE, dans lequel Maureen STAPLETON jouait la mère de notre folle du clavier préférée ! -- faut-il préciser que je rêve de voir ça un jour ?...)
Bref, au moment de découvrir Qu'est-il arrivé aux sœurs Hudson ? lors de sa diffusion sur M6 dans les années 1990, autant vous dire que j'avais des préjugés sérieusement négatifs, malgré la sympathique idée des producteurs de confier les rôles des sœurs ennemies à deux véritables frangines et grandes comédiennes : Vanessa et Lynn REDGRAVE. Je dois reconnaître que je fus assez agréablement surprise : quand bien même nous sommes loin de la réussite du film original, dont ce remake ne possède ni la violence, ni la cruauté, et encore moins le souffle baroque, on ne saurait pour autant parler de ratage, ni même d'entreprise déshonorante, ce qui, en soi, n'est déjà pas si mal.



Les choix de l'adaptateur Brian TAGGERT s'avèrent lucides, et même habiles sur certains points. Son scénario demeure fidèle dans ses grandes lignes à celui de Lukas HELLER (lui-même très respectueux du roman d'Henry FARRELL), mais s'efforce d'apporter aux deux protagonistes une touche d'humanité, voire de tendresse, absentes du film d'ALDRICH. Lynn REDGRAVE, consciente qu'il serait insensé de renouveler la performance hallucinante de DAVIS, fait de Jane un être blessé et paumé plutôt qu'une mégère tyrannique. Là où DAVIS campait une terrifiante gargouille, REDGRAVE envisage le personnage comme un clown dont le rire s'est figé en ricanement ; son maquillage bariolé d'Auguste illustre cette optique, et s'oppose au masque blafard et plâtreux que DAVIS s'était amoureusement confectionné. Quant à sa sœur Vanessa, elle apporte au rôle de Blanche une plus grande sérénité que CRAWFORD, une élégance moins meurtrie, une certaine force de caractère (il faut dire aussi qu'elle ne subit pas de traitements aussi radicaux que ceux qu'endurait CRAWFORD : exit la fameuse scène des coups de pieds qui constituait l'un des paroxysmes du film original).


Là où le remake se distingue de façon conséquente et trouve sa tonalité propre, c'est dans la prise en compte par les auteurs du "culte gay" dont le film d'ALDRICH fait l'objet, et de son sous-texte queer. Jane, la star-enfant déchue, est ainsi la proie d'un pseudo-impresario homosexuel qui admire ses anciens films et souhaite la faire remonter sur scène. Chez ALDRICH, ce rôle, tenu par Victor BUONO, était bien différent : d'une part, c'est Jane qui le recrutait par le biais d'une petite annonce, d'autre part, il ne connaissait rien de sa carrière d'actrice. Confiant le personnage au comédien gay John GLOVER, les auteurs exploitent sciemment son potentiel camp, et le posent en miroir des fans homos du film original. Lorsque Jane se produit sur scène sur l'instigation de son admirateur, elle ignore que son show a lieu dans un cabaret de travestis, et tombe de haut lorsque son partenaire la rejoint dans la robe et sous la perruque de Blanche, pour reprendre leurs chansons en duo. Cette situation évoque immanquablement le comeback d'une autre vedette laminée et fillette prolongée, j'ai nommé Chantal GOYA, qui relança sa carrière dans les boîtes gays en misant sur la nostalgie teintée d'ironie qu'elle inspire à un public friand d'autodérision. C'est aussi l'occasion de rappeler que si le personnage de Baby Jane connaît une popularité sans faille auprès des female impersonators, c'est parce qu'il présente, dès le départ, toutes les caractéristiques d'un travesti : il offre l'image d'une féminité outrancière, fabriquée, résolument artificielle dans ses excès tant psychologiques que physiques.


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vendredi 4 novembre 2011

MASQUE DE MORT (Death Mask, Richard FRIEDMAN, 1984)






Le cadavre d'un enfant de quatre ans est retrouvé dans une boîte en carton aux abords d'une forêt ; ses cheveux et ses ongles fraîchement coupés, son corps soigneusement lavé, semblent indiquer qu'il fut apprêté pour une inhumation. L'inspecteur médical Douglas Andrews (Farley GRANGER) est chargé de l'identifier, mais se heurte à l'hostilité du médecin légiste (remarquable Arch JOHNSON) et au manque d'investissement de ses supérieurs. Ayant récemment perdu l'une de ses filles du même âge que la victime, il devient obsédé par l'affaire et conserve comme une relique le masque mortuaire de l'enfant. Durant dix ans, il poursuit ses recherches alors que le cas est classé, mettant en danger sa vie de famille et devenant de plus en plus indifférent à tout ce qui est étranger à sa quête.





Le film s'inspire d'une affaire réelle et jamais éclaircie, datant de 1957 (l'action est ici transposée dans les années 70 et 80), et connue sous le nom du "Garçon dans la boîte" (voir l'article en anglais sur Wikipedia). Soucieux de ne pas frustrer les spectateurs par une fin ouverte, Richard FRIEDMAN et son co-scénariste Jeffrey GOLDENBERG choisissent d'apporter à l'énigme une résolution lointainement inspirée par l'une des deux théories envisagées par la police.
Production modeste et de facture télévisuelle, Masque de mort n'en est pas moins une bande rigoureuse et assez prenante, dont l'intérêt doit beaucoup à l'interprétation de Farley GRANGER, extrêmement convaincant dans son rôle de flic que son obsession déshumanise progressivement. Le désir de connaître le fin mot de l'affaire accroche le spectateur durant 91 minutes, lui permettant de passer outre quelques longueurs et séquences mélodramatiques superflues.





Richard FRIEDMAN poursuit aujourd'hui encore une carrière consacrée au fantastique et au thriller de série B, et s'illustra à la télévision en dirigeant quelques épisodes des séries Vendredi 13 et Histoires de l'autre monde. Pour qui s'intéresse aux cold cases et aux histoires criminelles mystérieuses et sordides, le film mérite d'être vu. Mais attention : ne vous attendez pas à une œuvre trépidante et truffée de détails macabres ; si les auteurs s'autorisent quelques notations dérangeantes (et un bref montage alterné assez culotté entre une scène de baise et les mouvements de piston d'un poumon artificiel !), le ton reste sobre et sérieux, privilégiant la psychologie sur le spectacle. Au final : de la belle ouvrage.




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