samedi 30 avril 2011

COMMENT J'AI DECOUVERT LE MAUVAIS CINEMA SANS JAMAIS OSER LE DEMANDER




Tout a commencé un jour que je m'étais trompée.
Ce jour-là, il pleuvait. J'avais douze ans. J'étais sur le marché aux puces de Bourg-en-Bled (la ville où j'habitais quand j'avais douze ans), et j'ai voulu acheter une cassette vidéo d'un bon film. C'était pas cher (15 francs -- je parle en anciens nouveaux francs, hein ?...) et c'était Autant en emporte le vent. Alors, vu combien le film avait coûté à faire à la production, et vu comme il était long à regarder, c'était vraiment pas cher 15 francs pour un film aussi riche au départ et aussi long à l'arrivée. C'était presque quasiment donné. En plus, comme j'avais que 15 francs sur moi, ça tombait bien et je l'ai acheté. Sauf que c'était pas une vraie cassette de vidéoclub, c'était un film enregistré chez lui par un particulier quelconque -- ah, oui ! quel con ! c'est le cas de le dire !... Il avait pas enregistré le bon film, ou alors il l'avait effacé pour mettre un mauvais film dessus, ou alors il avait enregistré le mauvais film au départ, et il avait pas collé la bonne étiquette, ou alors il avait pensé enregistrer le bon film et il s'était trompé de chaîne, ou alors il l'avait fait exprès pour me rouler, ou alors.
Enfimbref, c'était pas Autant en emporte le vent (le bon film) qu'il y avait sur la cassette quand je l'ai regardée, c'était Orloff et l'homme invisible (un mauvais film), avec un mauvais acteur intitulé Francis VALLADARES qui remplaçait (mal) Clark GABLE + une très mauvaise actrice intitulée Brigitte CARVA qui prenait (mal) la place de Vivien LEIGH + un acteur peut-être bon qui jouait l'homme invisible, mais on pouvait pas dire, parce qu'on le voyait pas...


Y avait quand même aussi dedans quelqu'un de visible qui jouait plutôt bien et qui s'intitulait Howard VERNON, et un gros moustachu avec des grosses moustaches que son nom c'était Fernando SANCHO (il devait pas sentir bon dans le film, parce qu'il était toujours en sueur.)
L'histoire, c'était un docteur fou qui fabrique un homme invisible, et alors le mauvais acteur (qui joue "le bon") le combat, et puis c'était la fin.
Dans le film, il y avait aussi une femme qui se faisait violer par l'homme transparent (je mets "transparent" pour pas répéter le mot "invisible", même si "transparent" ça fait moins invisible qu'"invisible", parce qu'on doit quand même voir une forme...), et cette femme (qui se faisait violer), c'est devenu je crois un écrivain qu'elle s'appelle Evane HANSKA, et qu'elle écrit des romans policiers. Bon.


Le film, alors, il était mauvais comme la gale ! Mais le truc bizarre, malgré tout, c'est qu'il m'a bien botté (surtout quand elle se fait violer) (la femme) (on voit bien ses zones érogènes, et elle crie et se débat contre l'homme invisible) (si tous les violeurs étaient invisibles dans les films, ça serait bien, parce qu'on verrait mieux les zones érogènes de leurs victimes) (et en plus, c'est moins pénible à voir, parce qu'on a l'impression que les victimes elles ont pas mal, vu qu'elles ont pas d'agresseur -- visible) (Enfimbref...)
Donc, ça ressemblait pas trop, comme film, à l'histoire de la fille du Sud des Etages-Uniques qui tombe amoureuse d'un mec qui veut pas d'elle, mais qui en veut quand même après et qu'ils se marient et qu'ils se séparent, et qu'elle reste toute seule à chialer sous son arbre à la fin, en disant : "Ça ira mieux demain" (là, je voulais parler d'Autant en emporte le vent...)


Sur la cassette que j'avais achetée, le vent avait tout emporté ! et Vivien LEIGH, et Clark GABLE, et Atlanta, et les Gros Nègres (je mets des majuscules pour pas être insultée de racisme), et tout le bastringue !... Il restait plus qu'un homme translucide (je mets ça pour pas répéter "transparent") et une femme qui criait parce que quelqu'un la ramonait mais qu'elle voyait personne...
Je me suis dit que, merde ! j'avais quand même perdu 15 francs !...
Je suis retournée au marché aux puces. J'ai rouspété le mec qui m'avait vendu la cassette, en lui disant (en gros) que c'était pas bien de vendre Orloff au prix de Rhett Butler. Il m'a dit : "T'en fais pas, gamine. Je vais réparer ça..." Il a repris sa cassette avec le mauvais film, et en échange, il m'a donné Ben Hur.
Quand je suis rentrée chez moi, j'ai mis la cassette dans mon magnétoscope, et j'ai regardé Des Filles pour le bloc 9. J'ai reconnu le même acteur que dans Orloff, c'était Howard VERNON. Y avait encore des femmes qui passaient des mauvais quarts d'heures pendant 90 minutes. Et y avait plein de vraies mauvaises actrices qui s'avéraient être de fausses blondes.


J'ai commencé à me dire que c'était pas si mal, les mauvais films...
Mais ma maman est arrivée, et elle a commencé à me dire que c'était vraiment pas bien de regarder des films comme ça. Elle m'a un peu donné une claque. Je me suis défendue en lui disant qu'elle se trompait -- que c'était un bon film, vu que c'était Ben Hur. Je lui ai montré le boîtier comme preuve. Elle a regardé la télé, et elle a dit : "Et il est où, Charlton HESTON ?..." Je lui ai montré un acteur, et je lui ai dit : "C'est lui !..." Elle m'a dit : "C'est pas vrai !... Il lui ressemble même pas !..." Je lui ai répondu : "Mais si !... On le reconnaît pas, à cause qu'il a un pseudonyme : il s'appelle Howard VERNON !..." Alors, du coup, ça lui a rivé le clapet ! Elle m'a tellement bien cru qu'à chaque fois qu'elle voit Le Silence de la mer à la télé, elle dit : "Tiens ! Y a un film avec le pseudonyme de Charlton HESTON !..." Elle est marrante, ma mère...

Howard Vernon dans Le Silence de la mer

Moi, depuis ce jour-là, j'aime bien les mauvais films.
J'ai même fini par retrouver, des années après, une vidéocassette d'Orloff et l'homme invisible. Mais j'ai été roulée : dessus, y avait Autant en emporte le vent... La cassette m'a coûté 40 anciens nouveaux francs. C'est des voleurs, sur les marchés aux puces...

BONUS : J'ai fini par tellement bien aimer Dr Forloff et la femme limpide (je mets ça pour éviter les répétitions), que j'ai téléphoné un jour au réalisateur, Pierre CHEVALIER, pour lui demander la question : "Comment vous avez pu faire ça ???"... Il était bien gentil ; il m'a raconté des histoires sur le tournage du film. Il m'a dit que le squelette qu'on voyait dedans, c'était pas un vrai. Et que les acteurs qu'on voyait dedans, c'étaient pas des vrais non plus. Mais que l'homme invisible -- qu'on voyait pas --, eh bien, c'était un authentique, et même qu'il avait coûté cher aux producteurs, vu qu'il fallait le nourrir avec du manger invisible, le loger dans un hôtel invisible, et l'abreuver avec du whisky invisible qui se trouve pas partout... Du coup, les producteurs l'ont payé avec du fric invisible. Ça l'a tellement mis en colère qu'il a décidé d'arrêter sa carrière. On l'a jamais revu dans aucun film... Je donne quand même son nom, au cas où quelqu'un l'aurait revu ailleurs... Il s'appelle : (nom invisible).
J'ai aussi fini par rencontrer Howard VERNON. Quand je lui ai parlé du film, il m'a dit : "Dommage que la pellicule n'était pas invisible, elle aussi !..."
Il avait tort... Je l'aimais bien, Howard, mais il avait tort. Je trouve que c'est un très bon mauvais film -- surtout quand l'homme invisible fait son viol.


Photo invisible

J'ai tellement bien aimé ce film que j'ai téléphoné aux autres acteurs qui sont dedans. J'ai téléphoné au cocher qu'on voit au début -- celui qui conduit le carrosse. J'avais bien aimé son interprétation, parce que je trouve que ça fait réaliste, pour un cocher, de conduire un carrosse. J'ai pas eu de bol ce jour-là, parce que le pauvre acteur, il venait de perdre son fils dans un accident de voiture. Quand je lui ai dit : "Monsieur Untel, j'aimerais vous parler de Orloff et l'homme invisible", il a été un peu consterné. Il m'a dit gentiment : "On verra ça plus tard, si ça ne vous dérange pas... Mon fils vient de mourir..." J'étais gênée, mais c'était pas ma faute ! (moi, je sais pas conduire !...) Ceci dit, il a été aimable. C'est même lui qui s'est excusé de ne pas trouver quoi me dire... J'aimerais lui rendre hommage, tellement il a été aimable, mais j'ai oublié son nom... Pourtant, c'était un bon acteur... Il conduisait bien le carrosse...
Pour finir, j'ai appelé un autre comédien, même qu'il s'appelle Eugène BERTHIER. Je lui ai demandé ses souvenirs sur le film. Il m'a dit : "Vous savez, j'ai aussi tourné dans Diva de Jean-Jacques BEINEIX !..." Mais moi, j'en avais rien à foutre de Diva -- et encore moins de J.J. BEINEIX !... Y a pas longtemps, j'ai vu qu'Eugène BERTHIER avait réussi à tourner dans un autre film qui s'appelle Amélie Poulain... C'est triste de voir que des vrais mauvais acteurs finissent leur carrière dans des faux bons films...
Enfimbref... C'est la vie !...

mercredi 27 avril 2011

DEUX PIEDS DANS LA TOMBE (Ending Up, Peter SASDY, 1989)


Fidèle adaptation d'un court roman macabre et corrosif de Kingsley AMIS (paru en France sous le titre "Sur la fin", et disponible chez "Rivages Poche"), Ending Up fait partie de ces perles dont la télévision anglaise nous régalait avec libéralité dans les années 70/80, avant de succomber à la blockbusterisation galopante qui pourrit la production télévisuelle anglo-saxonne contemporaine aussi bien que son équivalent français. (Bon, d'accord... je suis un peu injuste, là... La Bibici continue quand même de nous pondre assez régulièrement de chouettes adaptations des grands classiques de la littérature british... Exemple relativement récent : l'excellente mini-série Cranford, avec Dame Judi DENCH...)


Adeptes du jeunisme, des intrigues survoltées et de la shaky cam, soyez prévenus : il s'agit là d'une œuvre à caractère gériatrique destinée aux gérontophiles. Aucun problème en ce qui me concerne : je suis une fan absolue des "films de déambulateurs" -- dont le mètre-étalon reste sans doute Les Baleines d'août de Lindsay ANDERSON, qui rassemblait à son générique un casting quatre étoiles de ressortissants du troisième âge : Bette DAVIS (79 ans), Lilian GISH (94 ans), Vincent PRICE (76 ans), Ann SOTHERN (rien à voir le poulet du même nom) (78 ans), et le petit jeunot du groupe, Harry CAREY Jr (66 ans).
Dans Deux pieds dans la tombe, nous avons droit à :


Wendy HILLER (77 ans)


Sir John MILLS (81 ans)


Sir Michael HORDERN (78 ans)


Lionel JEFFRIES (63 ans)


Googie WHITERS (72 ans)

Mis en scène par l'un des artisans tardifs de la Hammer Films, Peter SASDY (dont il faudra bien un jour réhabiliter la passionnante filmographie), Ending Up nous raconte les derniers jours d'un groupe de vieillards vivant tant bien que mal en communauté dans un charmant cottage niché dans la campagne anglaise. Bernard (John MILLS) est un officier à la retraite d'un cynisme féroce et d'une méchanceté inventive, Shorty (Lionel JEFFRIES) est son amant et larbin alcoolique, Marigold (Googie Whiters) est une ancienne poule évaporée et mélancolique, George (Michael HORDERN) un historien aphasique, et Adela (Wendy HILLER) un ange de patience et de dévouement, qui s'efforce tant bien que mal de tempérer les humeurs de chacun. Partagés entre l'évocation rabâcheuse du passé et le constat de leur dépérissement, les cinq amis s'acheminent lentement vers une fin que leurs dissensions et leurs malices précipiteront de façon dérisoire et (sinistrement) hilarante.


Interprétation savoureuse de cinq vétérans du cinéma britannique, visiblement ravis de travailler ensemble une ultime fois ; réalisation élégante d'un SASDY attentif aux nuances du propos et aux idiosyncrasies de ses comédiens : Ending Up est un pur bijou d'humour noir, parfaitement digne de son modèle littéraire ; une "comédie cruelle et extrêmement drôle", brossant "le portrait d'une Angleterre moribonde, avec une affection et une nostalgie qui s'expriment dans un immense cynisme." (4ème de couv' de l'édition Seuil).
Pour hadopiser, c'est ICI.
Avertissement
: lors de la diffusion télévisée au début des années 90, un bruit de fond perturbait la bande son durant les deux premières minutes ; vous le retrouverez donc dans cette captation, mais n'ayez crainte, ça ne dure pas...




dimanche 24 avril 2011

LIBERACE, LIVE IN LONDON




D'aucuns prétendent que seules les dames d'un "âge certain" s'intéressent à Liberace. Si j'avais quelques années de moins, je serais la première à démentir cette assertion. Le fait est que j'ai découvert cet artiste de génie il y a plusieurs décennies, lorsque je n'étais qu'une toute jeune femme (plus jeune encore qu'Annie Wilkes, l'héroïne du Mysery de Stephen KING, admiratrice n°1 du plus "swinguant" des concertistes classiques, et de la plus follingue des divas du clavier). Je n'avais en effet que 35 ans lorsque la célérité de son doigté fit de moins une inconditionnelle à vie du plus flamboyant pianiste que la Terre ait jamais porté.
Ce concert londonien quelque peu sépulcral est l'un des derniers du grand Lee (affectueux sobriquet que lui décernaient ses amis et admirateurs), avant que la Grande Faucheuse ne l'emporte vers un monde réputé meilleur -- où il doit sans doute exercer sa dextérité sur quelque harpe céleste, en compagnie d'angelots beaucoup plus sexués que ne le veut la tradition...
Ainsi que je l'écrivais sur Facebook au sujet de l'extrait que vous pourrez visionner en fin de ce post :
"Moment de pure émotion (qui me file la chair de poule à chaque fois) ! Lors d'un pénible concert au Wembley Center, Liberace -- déjà très malade et "accompagné" par une Philharmonique de Londres odieusement guindée et méprisante envers son statut d'entertainer -- est littéralement régénéré par les réactions d'un public décidé à rompre la glace et à briser les conventions, et qui donne subitement de la voix ! Moment rare où l'on perçoit ce que le soutien du public peut signifier pour un artiste mourant... Regardez la tronche des musiciens derrière Lee, dépassés par cet élan spontané !... Précieux !..."

N.B. : Cette première "hadopisation" sur le blog vous est proposée via Rapidshare. Dans la mesure du possible, les prochaines vous seront offertes par le biais de Megaupload, un service d'hébergement de fichiers envers lequel je suis assez réservée, mais qui semble être le plus populaire en France, et le plus simple d'accès comme de maniement...

DVD Rip

Concert de Liberace au Wembley Center de Londres, accompagné par le London Philarmonic Orchestra.



Liens :
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POURQUOI "SMORGASBLOG" ?




Les plus curieux d'entre vous se demanderont peut-être (à l'instar de Valentine Deluxe qui me posait la question sur Facebook) ce que signifie "Smorgasblog". Il n'est jamais aisé de baptiser un blog. MEIN CAMP me fut soufflé par Valentine ; THE BI-QUEEN WAY (aujourd'hui défunt, malgré les timides tentatives de résurrection par ma nièce Nini SOCQUETTES) se voulait un clin d'œil au film Queen Bee, l'un des joyaux de la filmographie de Joan CRAWFORD, tout en jouant sur l'idée d'une queen bisexuelle ; DÉSUET... se passe de commentaires (et se passera tout aussi bien de mises à jour, puisque les "hadopisations" que j'y proposais seront désormais centralisées ici) ; FEARS FOR QUEERS coule suffisamment de source pour que je fasse l'économie d'une explication...
SMORGASBLOG est quant à lui un dérivé du terme scandinave "Smorgasbord", qui désigne un assortiment de hors-d'œuvres très populaire en terre Viking. Une façon de signaler que ce blog offrira une macédoine d'articles n'ayant pas forcément de ligne directrice, et répondant surtout à l'humeur du moment. J'ai découvert ce vocable au début des années 80 grâce à l'une de mes idoles absolues, Jerry LEWIS, qui en fit le titre original de son film T'es fou, Jerry ! (rebaptisé Cracking Up quelques années plus tard.)



Et puisque je me sens d'humeur partageuse, permettez-moi de vous offrir en avant-première quelques paragraphes consacrés au film dans mon étude sur le cinéma camp, actuellement en cours de rédaction. Ces lignes forment la conclusion d'un chapitre dédié à l'expression d'une sensibilité camp dans l'œuvre lewisien (pour une définition du mot camp, vous êtes priés d'aller voir ailleurs -- pourquoi pas ici ?...)


Un smorgasbord scandinave typique

SMORGASBORD (T'ES FOU, JERRY ! Jerry LEWIS, 1983)

T'es fou Jerry ! retrouve les qualités plastiques et l'humeur décapante des meilleurs Lewis, mises au service d'une fable saumâtre sur l'incapacité d'insertion d'un anachronisme ambulant (le "personnage Jerry") dans la modernité - et, partant, sur l'obsolescence d'un style comique (le slapstick déconstructif lewisien) dans un monde gouverné par "l'absurde ordinaire". Âgé de 57 ans, le cinéaste-comédien semble ici admettre son incapacité à adopter l'image plus mature à laquelle ils aspirait, et fait revivre une ultime fois (le film sera sa dernière réalisation) l'éternel pré-ado chroniquement déphasé et perclus de complexes. Pour autant, il ne dissimule pas le malaise qu'il éprouve à se conforter dans cette image régressive : pour preuve, le film s'ouvre sur les infructueuses tentatives de suicide de son héros, Warren Nefron, qui ne se tolère plus lui-même. Il décide de consulter un psychiatre, lequel diagnostique "une péricomplication du moi qui se dresse contre certains chromosomes de réaction narcissique." Le film est de nouveau composé de saynettes nous faisant assister aux infortunes quotidiennes de Warren.


Les désirs ambigus de Mister Lewis

Si la problématique du vieillissement du "personnage Jerry" n'est jamais soulevée, c'est qu'elle s'impose d'elle-même au public à travers le spectacle de ce presque sexagénaire au comportement enfantin. Lorsque Lewis, en culottes courtes, effectue un numéro de gosse maladroit avec son complice Bill RICHMOND, l'effet n'est plus le même que vingt ou trente ans plus tôt : le Lewis actuel a clairement dépassé la limite d'âge pour ce genre d'exercice. Sa virtuosité demeure intacte, mais la silhouette a changé, la spontanéité se perd, et avec elle l'illusion de l'enfance que conservait le trentenaire.

"Cachez ce sein que je saurais voir..."

C'est par ce hiatus que le Camp s'introduit dans T'es fou Jerry ! : il y a désormais en Lewis quelque chose de Baby Jane. On ne saurait douter que le cinéaste en était conscient ; la scène finale nous révèle cruellement combien il se savait dépassé par son temps. Sortant d'un cinéma où il vient de voir T'es fou, Jerry !, Warren en raconte les gags aux futurs spectateurs formant la file d'attente, mais il ne réussit qu'à les faire fuir, affligés par ce qu'ils entendent. Pour les remotiver, il change de couplet et invente des péripéties salaces et sanglantes, mieux adaptées aux goûts du public actuel, qui afflue alors en masse. Très clairement, Lewis ne se faisait plus d'illusions sur son potentiel commercial, ni sur son statut au sein de l'industrie hollywoodienne. Il n'ignorait pas davantage qu'il était incapable de répudier de ses films son personnage de gamin prolongé - au risque de devenir, de plus en plus, une Baby Jane au masculin. Ce travesti-là ne lui souriait guère. Il préféra ôter le maquillage -- et raccrocher la caméra.



DAUGHTER OF THE MIND (Walter GRAUMAN, 1969) Téléfilm




Ray MILLAND est bien contrarié. Sa gamine d'une dizaine d'années ne cesse de le harceler en lui répétant qu'elle déteste être morte. Ce ne sont pas des choses à dire à son père, quand bien même on est réellement décédée depuis des mois. Pour ne rien arranger, Ray est complètement débordé par son boulot, un important projet gouvernemental qui requiert toutes ses compétences d'expert en cybernétique. Les choses deviennent de plus en plus déprimantes quand sa môme lui annonce que les hautes instances de l'Au-Delà souhaitent qu'il renonce à ses recherches ; à défaut de quoi, elle ne pourra plus le hanter et sombrera définitivement dans le Vertigineux Néant du Silence Eternel. Atterré par cet ultimatum, Ray fait appel à un spécialiste en parapsychologie, le fringant Don MURRAY, pour élucider le mystère de ces apparitions.
Doit-il y croire, ou sont-elles une couillonnade fomentée par les Rouges pour l'inciter à abandonner ses recherches ?


Signé par le réalisateur du très perturbant Lady in a Cage (où Olivia de HAVILLAND, coincée dans l'ascenseur de sa baraque, assistait aux pitreries d'une bande de délinquants malpropres et prodigues en gros mots), ce téléfilm donna sans doute quelques nuits blanches aux teenagers américains des seventies. On retiendra tout spécialement une scène de spiritisme où une main en cire portant les empreintes digitales de la morte se matérialise subitement dans un bocal à poissons. Pourquoi un bocal à poissons ? Parce que la revenante, ayant préalablement plongé sa menotte dans de la cire chaude, avait besoin d'eau pour en solidifier le moulage et fournir ainsi aux incrédules une preuve tangible de ses apparitions.


Si l'idée est tirée par les cheveux, ce ne sont sûrement pas ceux de Ray MILLAND, qui arbore ici la fidèle moumoute dissimulant une calvitie provoquée par une teinture trop corsée lors du tournage des Naufrageurs des mers du Sud.
Gene TIERNEY, les yeux toujours aussi bleus que dans Laura (où ils étaient d'ailleurs en noir et blanc), est l'épouse de MILLAND, clouée dans un fauteuil roulant et redoutant très fort qu'après avoir égaré ses tiffes, son mari ne perde la boule.


Comme tout bon téléfilm des années 70, le casting ne s'en tient pas là en matière de "vedettes invitées sur le retour" : John CARRADINE apparaît trois minutes en éventeur de fumisteries spirites qui conseille à MURRAY de chercher comment il s'y prendrait pour goupiller le truc de la main de cire, plutôt que de se demander bêtement s'il s'agit d'un authentique phénomène paranormal ; George MacREADY est le boss de MURRAY, qui aimerait beaucoup croire au bien-fondé des manifestations ectoplasmiques, comme ça il pourrait lui aussi deviser avec sa défunte épouse qui lui manque éperdument et qui a oublié de lui laisser sa recette des muffins à la bergamotte ; Pamelyn FERDIN, l'une des moutardes les plus populaires de la petite lucarne (qui devint au fil des années l'une des adultes les plus oubliées de sa profession), est la (pseudo ?) revenante qui fait peur à tout le monde.


John CARRADINE


George MacREADY


Don MURRAY & Ray MILLAND

Honnêtement réalisé et convivialement interprété par des vétérans plutôt motivés, Daughter of the Mind réserve quelques frissons bien poussiéreux tout en s'appliquant à conserver une tonalité rationnelle. Une option qui le rend plus original que la plupart des téléfilms fantastiques de son temps, mais aussi beaucoup moins fendard...
Le vrai phénomène paranormal qui se posera à l'attention des spectateurs est : par quel miracle Gene TIERNEY peut-elle bien avoir une fillette de dix ans ?... L'invention de la ménopause serait-elle postérieure à 1969 ?... De quoi cogiter longuement dans les chaumières...