samedi 30 juin 2012

LA FEMME-ENFANT (Raphaële BILLETDOUX, 1980)




La Femme-enfant est l'un de ces films délicats et feutrés qui s'insinuent en vous pour ne plus vous quitter ; mieux qu'un chef-d’œuvre, une sorte de petit miracle d'émotion et de justesse, dont chaque élément, sans prétendre à la perfection, conspire à la réussite de l'ensemble et possède une qualité d'évidence d'autant plus prégnante que discrète.
Cette belle histoire d'amitié entre une fillette solitaire (merveilleuse Pénélope PALMER) et un jardinier muet se situe à mille lieues des fastidieuses variations sur le thème de Lolita. Le film de Raphaële BILLETDOUX, adapté de son propre roman, évite tous les pièges de la bluette pédophile pour explorer au plus profond le mystère d'une alchimie entre deux êtres exceptionnellement sensibles et douloureux, égarés dans un monde qui les dédaigne autant qu'ils s'en défient.


Le rôle du jardinier Marcel est sans conteste l'un des plus bouleversants tenus par Klaus KINSKI. Pour l'occasion, le comédien "renoue avec son passé de mime et évite tout effet facile. Pourquoi chargerait-il sa composition alors qu'un regard lui suffit pour faire saisir au spectateur tout le chagrin et toute la solitude de cet exilé de l'amour ?  Kinski montre ici de nombreuses facettes de son talent. Tendre et violent, enfantin et grave, innocent et pervers, il est constamment poignant. Du grand art." (Philippe Rège, in "Klaus Kinski", éditions Pierre-Marcel Favre, 1987)
Contrairement à l'auteur de ces lignes, je ne vois guère de perversion chez le personnage, pas plus que dans ses relations avec la jeune Elizabeth. C'est bien au contraire la pureté de leur affection qui nous touche aux fibres ; reposant sur une tendresse instinctive, presque animale, où la sensualité est le fruit d'un accord impérieux entre deux sensibilités vibrantes plutôt que d'élans sexuels, leurs rapports sont d'une innocence absolue, presque édénique, et nous font entrevoir ce que peut être l'amour saisi à la source du cœur.


Le tournage ne refléta pas une telle harmonie, selon Raphaëlle BILLETDOUX : "Avec KINSKI, c'était un vrai cauchemar. A un moment, j'ai eu la tentation d'arrêter là, ce n'était plus possible de continuer le tournage avec lui. Par exemple, lors de la scène du bain que KINSKI prépare pour la jeune fille : elle était déjà très angoissée à l'idée de tourner une scène nue, même tournée de façon très pudique.  J'avais réduit l'équipe technique au minimum et réglé la scène de façon à ce que KINSKI lui tourne le dos (ainsi qu'à la caméra), au moment où elle devait entrer dans la baignoire. Il a alors piqué une crise : "Quoi ?! Moi tourner le dos ?! Jamais ! Et puis, je veux la voir toute nue..." Mais vous savez, KINSKI, c'est... spécial. Je veux dire, il en fait tellement pour être détestable qu'il en devient presque touchant..." (Conférence du Festival Aspect du cinéma Français '80, juin 1980)
Par la grâce de la mise en scène, ces tensions ne se perçoivent jamais dans le film, qui demeure de bout en bout un bijou de subtilité et d'atmosphère (rarement a-t-on aussi bien filmé la campagne désolée du Nord de la France, ses nuits désertes et ses petits matins brumeux.) Mention spéciale à la sublime partition de Vladimir COSMA, qui vous hante longtemps après que se soit effacée la dernière image.
Une œuvre précieuse, dont on regrette amèrement qu'elle soit la seule de son auteure au cinéma.


Hadopiser ici, en VHSRip (enregistrement télé).

Extrait :

15 commentaires:

  1. Un bel article, à fleur de peau, pour un film tout aussi délicatement sensoriel.

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  2. En voilà un que je ne connais pas, et que je vais me faire un plaisir de découvrir. De voir Kinski ainsi, à l'extérieur du giron d'Herzog ou encore de ses westerns mal ficelés, voilà qui promet :-)
    Merci pour ce partage.

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    1. C'est mon Kinski préféré dans sa "période française", qui fut inégale mais toujours intéressante. Je crois que tu devrais aimer...

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    2. Je viens d'en terminer le visionnement, et j'ai beaucoup beaucoup apprécié ! Le jeu étonnament sobre de mister K,. la photographie soignée et une mise en scène dépourvue d'excès -alors que la porte était ouverte pour de nombreux glissements potentiels- en font à mon sens un bon film à découvrir.
      Merci à nouveau BBJ !

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    3. Je suis heureuse que le film t'ait plu. Au passage, j'ai découvert (tardivement) qu'il est sorti en DVD en France. Du coup, je l'ai commandé aussitôt, car ma copie VHS n'est quand même terrible et rend mal justice à la photographie hivernale. Amitiés à toi...

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    4. Oui, je viens effectivement de le voir sur 'Amazon.fr' ! Et je crois que je vais également me laisser tenter, car la photographie que j'appréciais déjà dans ton partage VHS doit y être absolument magnifique.
      Dommage que ce soit là le seul film de Raphaële Billetdoux.. Il me semble qu'elle démontrait pourtant de belles promesses..
      Dans tous les cas, je te suis reconnaissant de me l'avoir fait connaître :-) Salutations de même !

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  3. Il n'a pas fait que des westerns mal ficelés, loin s'en faut, en tout cas merci Bbjane, tu as attisée ma curiosité :)

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  4. Moi je trouve les "Fitzcaraldo" et "Aguire" beaucoup plus mal ficelé qu'un "grand silence" par exemple, mais bon les gouts et les couleurs...
    En tous cas le film est bien vendu, il y a Kinski et michel Robin que j'aime beaucoup et l'ado de malevil (tiens en voila un film mal ficelé), je vais me laissé tenter.

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    1. Ah moi je suis bien d'accord, Le grand silence ou Et le vent apportera la violence, sont pour prendre seulement ces deux exemples des westerns culte, qui méritent amplement leur statut.

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  5. Wow ! Moi qui avait complètement perdu le chemin de ce blog, voilà que j'y reviens pour la plus belle des surprises : un film avec Kinski que je ne connaissais pas le moins du monde, et qui semble touché par la grace.

    Merci infiniment BBJane, je sens que je vais grandement apprécier ton partage.

    Cela me rappelle par ailleurs que je suis encore et toujours à la recherche de l'AUTObiographie de Kinski en français qui se monnaie malheureusement à prix d'or sur le net...si jamais tu le vois passer un jour chez un bouquiniste bruxellois, je te serai éternellement gré de me le faire savoir ;)

    J'en profite tant que je suis là, comme je sais ton attachement au gaillard : le mois prochain je devrais avoir terminé le sous-titrage de deux films inédits en dvd vost de Ken Russell : 'Valentino' et 'The Raindow'. S'ils t'intéressent fais-le moi savoir ici, et je reviendrai vers toi le moment venu ;)

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    1. Contente de te retrouver, Aemaeth ! En ce qui concerne l'autobiographie de Kinski, il y en a deux, en fait. Je n'ai que la première, "Crever pour vivre" (dont le titre original était tellement plus savoureux : "Je suis fou de ta bouche de fraise"...) Si jamais je peux mettre la main dessus à un prix décent, je le prends pour toi et t'en informe... (mais ce ne sera pas dans une bouquinerie bruxelloise, vu que j'habite dans le Nord de la France et me rends très rarement dans la capitale Belge... ;-))

      Waooow ! Je serais très heureuse d'avoir accès aux deux Russell ! J'ai le premier en V.O., mais je n'ai jamais vu "The Rainbow" !!! Merci d'avance !...

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    2. Salut BBJane !

      Tout d'abord, juste pour info : le dvd de 'La Femme-enfant' est apparemment disponible en dvd en France et pas trop cher !
      Je dis ça pour ceux que ça intéresserait bien entendu, toi la première.

      Concernant les autobiographies de Kinski, c'est bien celle que tu possèdes que je recherche désespérément. Je ne connaissais d'ailleurs pas l'existence d'un second jet d'encre du maitre !
      Ta proposition me fait chaud au coeur, je croise les doigts pour que tu aies plus de chance que moi.

      (je pensais que tu étais toi aussi du plat pays car j'avais cru comprendre que tu étais une connaissance de Valentine Deluxe ;-))

      Quant aux deux Russell, promis, je reviendrai vers toi le moment voulu !

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    3. Eh oui, je suis allée voir Valentine plusieurs fois dans son fief liégeois, et je ne désespère pas qu'elle franchisse la frontière un jour pour me rendre la politesse ! Mais je ne suis pas Belge...

      Concernant la bio de Kinski, peut-être la trouverai-je à Paris, où je me rends souvent, et où on pouvait la dénicher pas trop cher chez les bouquinistes, il fut un temps... J'ouvre l’œil !...

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