samedi 4 juin 2011

MAURICE BARRES (Claude VAJDA et Jean-Claude LAMY, 1995)





Comment j'ai découvert Barrès ? Par quel hasard inconcevable ? Ce n'est pas au collège qu'on m'en aura causé. Il est bien trop honni des cuistres et des pions, quand leurs bataillons le connaissent... Quelqu'un de ma famille, alors ? Tout aussi improbable. Ma sœur aînée, qui fomenta mon éducation littéraire, ne mangeait pas de cette avoine, elle n'était pas assez "droitière"... Son truc à elle, c'était CAMUS, ses gros bubons pestilentiels, son Sisyphe et ses Justes. C'était aussi le Tartre, son strabisme à l'envers, sa Nausée'xistentielle...
Alors comment ça s'est goupillé cette affaire ? Peut-être grâce à la notice d'un Lagarde et Michard ?... On devait l'y dépeindre sous un jour bien suiffeux de noir corbeau cocardolâtre et de "Rossignol du Carnage". C'est sans doute ce qui m'a émue. Sa réputation de "vilain", d’acrimonieux infréquentable. Le Saloparangon de nos Lettres Françoises. Je me suis ruée dessus... c'est mon penchant pour les grands détestables... Je devais avoir dix-sept ans. La lecture du Culte du Moi, sa trilogie de l'égotisme, fut une révélation... "Sentir le plus possible en analysant le plus possible"... concilier romantisme et rationalisme... le projet requinquant !... "Quelque jour un statisticien dressera la théorie des émotions, afin que l'homme à volonté les crée toutes en lui et toutes au même moment"... Epouvanté, le bon vieux TAINE lui prédisait la camisole...




Découvrir Barrès à cet âge, c'était quand même un sacré pot, en plus d'un beau régal ! Un sacré pot, parce que le pourcentage de chances pour qu'il me tombe sous les prunelles confinait au néant ! Ces auteurs-là, faut avouer, on nous les cache avec un acharnement démentiel. On leur taille un costard si large et si merdeux qu'à la fin ils s'y noaillent, se perdent à notre vue pour les siècles des siècles. On dit : "Barrès, le malheureux, il est au Purgatoire des Lettres"... Je réponds : "Foutue blague ! Il s'y est pas fichu lui-même ! Il a quand même fallu que d'aucuns l'y basculent un peu !..." Il agaçait trop les Barbares, ceux-là qu'il vomissait à plume déployée dès ses premiers balbus littéraires, et les Barbares se sont vengés en travestissant sa pensée, en la ratatinant, en la démonisant, en l'empuantissant jusqu'à l'irrespirable...



"Un sacré pot", disais-je, "en plus d'un beau régal !"... Le beau régal, pour moi, ce fut d'abord et ça reste son style -- à se pâmer ! un vrai miracle !... Vous pouvez bien fouiller, sonder et triturer ce qui se publiait depuis la fin du dix-neuvième jusqu'à Céline et son Voyage : il n'y a, croyez-m'en, rien qui vaille la prose à Barrès... rien d'aussi joliment gaulé, d'aussi sorcier ni d'admirable... "De la musique avant toute chose"... la griserie des harmoniques... la souveraineté du rythme... Dans un registre différent, c'était un peu déjà le crédo de Céline, l'ordonnateur des dissonances, le démolisseur rénovant. Barrès, lui, c'était "la Cadence" ! On l'a répété bien souvent dans les manuels scolaires, du temps qu'on l'y trouvait encore... Cadences contre la décadence !... La petite musique du sang, voluptueuse et pulsative...



Après, on dira ce qu'on veut... "Antisémite !" -- l'intarifable tare... l'auréole inexpiable... "Nationaliste !" -- chair à fagots !... C'est affreux d'aimer sa Lorraine, avouons-le franco... De se sentir un peu "raciné quelque part", de ne pas tolérer qu'on nous rabougrisse nos fibres... "Antidreyfusard !" -- c'est pas beau... "Xénophobe !" -- ça, c'est du ragot de zinc, l'argument repoussoir pour faire détaler les gogos...
Découvrez ses Cahiers. Barrès s'y révèle tout entier, dans ses convictions, ses angoisses, ses prémonitions sidérantes, sa pose aristocrate, sa sincérité toujours un peu défiante, un peu ornementée mais souvent déchirante...

François MAURIAC

Et puis, il y a chez cet ambivalent que l'on prétendait tout d'un bloc, certaines équivoques dont on a peu parlé, mais qui transpirent dans ses meilleurs écrits, comme le suggère ci-dessous Jean-Marie DOMENACH, admirable intervenant de ce très bon documentaire, que vous pouvez hadopiser ici (VHSRip, "Un Siècle d'écrivains")...




2 commentaires:

  1. Tu m'as donné envie de lire ce "stigmatisé" !

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  2. Intéressant , ca me donne envie de le voir, merci bbjane ! ouf...ici le lien est frais...

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